Du côté de Haïti
Nouveau départ... nouvelle mission d'évaluation...
En route pour les montagnes haïtiennes, entre brouillards et océan, entre besoins humanitaires et vie quotidienne...
Nouveau départ... nouvelle mission d'évaluation...
En route pour les montagnes haïtiennes, entre brouillards et océan, entre besoins humanitaires et vie quotidienne...
« 2 000 morts ». Ca ne tient pas beaucoup de place quand on l’écrit, quand on le lit, le matin, une tasse de café à la main, le journal vaguement ouvert entre des bribes de rêves et l’agenda des réunions de la journée.
« 2 000 morts ». En moins de 2 mois, c’est autant de drames dans les familles, c’est autant d’amis disparus, de maris emportés, d’amours effacés.
Le 17 octobre, trois enfants sont morts à l’école.
Vous comprenez ce qui se cache derrière ces quelques mots ? « trois enfants sont morts à l’école ». Le matin, ces trois élèves d’une dizaine d’années, ces trois enfants, ont pris leur petit déjeuner en riant et en se chamaillant avec leurs frères et sœurs. Peut-être n’ont-ils même pas embrassé leurs parents car ils couraient déjà vers leurs copains, leurs copines, qu’ils retrouvaient sur le chemin de l’école. Soudainement, en pleine classe, ils ont eu mal au ventre, très mal. Ils ont demandé à leur instituteur l’autorisation d’aller aux toilettes. La douleur leur tordait de plus en plus le ventre. Ils ne pouvaient pas en ressortir car toute l’eau de leur corps sortait de leur derrière, sans s’arrêter, sans s’arrêter. Rapidement, ils se sont complètement déshydratés. L’instituteur, leurs copains, leurs copines, ne comprenaient pas. Une diarrhée, ça arrive. C’est normal. Mais là ! Ils n’ont pas su quoi faire. Ils étaient désarmés, désemparés. Ils n’ont pas eu le temps de les emmener au dispensaire. Trois enfants sont morts déshydratés en quelques heures, à l’école.
« 2 000 morts ». C’est autant d’histoires identiques et personnelles. Ce sont autant de personnes qui riaient le matin et qui étaient mortes le soir. Autant d’histoires arrêtées brusquement, de manière incompréhensible.
« Le choléra, c’est horrible. On meurt trop rapidement. Je préfère attraper le Sida. ». Vous imaginez ?
Non ?
Alors, je reprends.
Vous prenez un pays créé par des esclaves. Oui, des esclaves. Un pays né de la douleur, dès le commencement. Vous ajoutez 2 siècles de sous-développement, quelques dizaines de dictateurs, la drogue et la violence dans les bidonvilles, et des cyclones chaque année. Cerise sur le gâteau, un séisme détruit la capitale. 200 000 morts. 1 millions de sans abris. 1/10 de la population ! 1/10 !!!! Et un nouveau cyclone…
Et des étrangers, venus aider mais mal encadrés et irresponsables, répandent le choléra dans une rivière. Toute la population d’un département tombe rapidement malade. Toute la population du pays, deux mois plus tard, est menacée. TOUTE la population ! Si, demain, les 60 millions de Français que nous sommes risquaient de tomber malade, et de mourir, en quelques heures, à chaque fois que nous buvons un verre d’eau ou que nous serrons la main d’un ami, que croyez-vous que nous ferions ? Sincèrement ? Imaginez un instant 100% de la population française menacé par une maladie qui tue ses victimes en quelques heures. Pas en quelques jours ! Non ! En quelques heures ! Vous vous levez le matin en pleine forme et, à midi, vous êtes morts ! Vous avez soufferts. Et vous êtes morts ! Voilà, c’est ça le choléra !
Des étrangers l’ont introduit, par mégarde, inconscience, irresponsabilité. Et, aujourd’hui, 2 000 personnes sont mortes. Et, dans les prochains mois, dans les prochaines années, plusieurs milliers d’autres personnes vont mourir ! Qui sera responsable. Personne sûrement. Haïti n’a pas d’armée, ni arme nucléaire. Haïti n’a ni pétrole, ni uranium. Haïti n’existe pas sur la carte du monde. Tout juste sur la carte des crises humanitaires, pour quelques mois encore, avant la prochaine.
Il y a un homme qui vit dans le quartier Raboto de Gonaïves. Il vit dans un fauteuil roulant, avec sa sœur. Sa femme est partie. Il a 10 enfants. Sa sœur en a 5. Leur taudis mesure 5m sur 4m. Il n’est pas étanche. Il a deux fenêtres. Pas de latrines. Pas d’eau. Pas d’électricité. Pas de nourriture. Pas de médicaments. Combien seront encore en vie dans quelques semaines ?
Dans tous les pays du monde, il y a des gens qui vivent dans la pauvreté.
Il y a pire.
Il y en a qui vivent dans la misère.
Il y a pire.
Il y en a qui vivent dans le dénuement.
Il y a pire.
Il y en a qui vivent dans les ordures.
Et ceux-là, en plus, ils meurent du choléra.
Entre autres…
Merde !
Retour en République Centrafricaine... retour en humanitaire... à la découverte du monde des bailleurs de fonds... exploration de l'intérieur, de l'autre côté du miroir...
Profitant de la connexion internet de Zinder, j'ai repris la mise en page du blog afin de le rendre plus lisible (je l'espère) et, pour simplifier le tout, je lui ai donné une nouvelle adresse.
Pour continuer à me suivre dans mon cheminement vers le nord, voici donc une nouvelle adresse: http://banguialger.canalblog.com/
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Bonne lecture à tous !
Il est un pays aux couleurs passées d'une trop longue saison sèche. Jaunes pales, bruns terreux, noirs cendreux, ocres poussiéreux, dégradés de gris... Le pays est assoupi. Albert, seul, debout dans cette fin d'après-midi, contemple les hectares de jachère qu'il ne pourra labourer avec sa simple bêche. Le vert tendre des jeunes pousses ne viendra pas illuminer le paysage avec le retour des pluies. Seules les broussailles et les herbes sauvages vont croitre et se multiplier. Cette année encore. Maintenant que tous les fermiers blancs ont été chassés, leurs tracteurs vendus. Leurs récoltes et leurs savoirs perdus.
Il est un pays aux couleurs du passé. Usines fermées, grands magasins aux rayons trop espacés pour masquer leur pauvreté, boutiques à louer, bureaux quadrillés de toiles d'araignée. Du haut du phare de Kadoma, construit par les Anglais pour accueillir les anciens combattants de la 2nde guerre mondiale, les fameux Tin Helmet, Martin, métis, gardien, rêve du jour où le club retrouvera ses airs de fête. A l'intérieur, tout est propre, tout est prêt. Les photos d'époque, en noir et blanc, retracent la construction du monument puis son inauguration en présence des représentants de sa Gracieuse Majesté, le bar, vide de ses bouteilles de Whisky, est astiqué avec soin, la grande salle de danse, carrelée, les alcôves en cuir lustré, attendent les amoureux. La lune se lève sur ce phare éteint et silencieux.
Plus bas, dans la ville, le Grand Hôtel des heures de gloire de la colonisation ferme peu à peu les boutiques qui ont envahies ses chambres. En haut du grand escalier, de part et d'autre du corridor défraichi, le réparateur de téléphones portables, la couturière, le conseiller en informatique, le vendeur de chaussures, le tailleur éteignent les lumières de leur petite échoppe sans clientèle et tournent la clé de portes qui, à la même heure, mais 50 ans plus tôt, s'ouvraient pour le repos confortable des clients de passage. Le Grand Hôtel aux peintures écaillées est à présent sponsorisé par Coca Cola.
Il est un pays passé de couleurs. Assis à la terrasse déserte du Club de Kariba, dominant le lac infini et les iles perdues dans la brume des feux de brousse, Mark évoque un avenir qui a disparu. Blanc, ingénieur, propriétaire d'un garage, il n'est jamais sorti de son pays et a construit peu a peu sa vie et sa retraite autour de ces immenses espaces vierges où éléphants et babouins viennent encore se promener le soir dans les rues et les jardins. Grace à la dévaluation, il est devenu trillionère. Il a tout perdu. A 60 ans passé, cheveux grisonnants et chemise entrouverte sur son ventre bedonnant, il rêve de ces pays qu'il ne visitera jamais. La France. Le Canada. Les USA. L'Australie. Ses rêves ont perdu leur éclat.
Il est un pays où, peu à peu, les couleurs semblent dépassées. Là où Noirs et Blancs se sont si longtemps côtoyés sans jamais trop se mélanger, là où la richesse des uns permettait de donner du travail aux autres, la pauvreté, la peur du cholera, l'absence d'avenir semblent peu à peu les rapprocher. Chacun partage la fierté de son pays, la serviabilité et l'accueil de l'étranger, l'envie de parler, d'expliquer, de raconter. Chacun se souvient de la gloire passée.
Comme dans un conte de fée, il est un pays endormi, hors du temps, assoupi. Si un simple baiser ne serait suffire à le réveiller, on peut cependant espérer qu'il ne faudra peut être pas trop longtemps au Zimbabwe pour retrouver ses couleurs d'antan le jour où la politique se tournera enfin vers Albert, Martin, Mark et tous ses citoyens, et les écoutera.
Minuit. Un frissonnement de guitare parcourt la nuit. Un micro grésille dans le silence de la ville assoupie. Un léger roulement de batterie fait frémir le quartier qui retient son souffle, espère encore contre toute attente, refuse d’interpréter ces indices musicaux. Quelques derniers crissements de grillon. Un dernier bruissement dans le feuillage des arbres.
Et soudain, la tornade instrumentale se déchaîne, les décibels explosent par centaines, les guitares électriques prennent un rythme endiablé, les voix s’enchaînent, s’emmêlent au micro pour louer Dieu de toutes leurs forces. Message d’Amour qui monte ainsi dans la nuit, message de fraternité, de respect. « Frères, nous vous aimons » viennent hurler les fidèles aux paisibles citoyens endormis et réveillés en sursaut. « Frères, nous sommes sur terre pour nous respecter, nous entraider » continuent à vociférer ces croyants en extase à leurs voisins qui se tournent et retournent dans leur lit, empilent désespérément les coussins sur leur tête, ferment les portes, les fenêtres et s’enfoncent des brassées de coton dans leurs oreilles agressées, torturées.
Après deux longues heures de patience religieuse, de martyr et de supplice, fatigués, certains osent venir solliciter un peu de calme, un peu de répit, quelques heures de repos bien gagnées entre deux longues journées de labeur. Et c’est à coup d’injures et de menaces que les voici reçus à la porte de ce temple d’occasion tandis que les vociférations continueront ainsi jusqu’à l’aube.
Vraiment, Dieu est un farceur !
Je voudrais vous parler de notre nouvelle acheteuse…
Hier était son premier jour. Je lui ai donné une commande pour 850 tiges filetées de 20 cm de long et 22 mm de diamètre, chacune comportant 2 boulons et 2 rondelles, soit 1 700 de chaque. Je lui ai donné un échantillon de l’ensemble.
La première cotation concernait des tiges filetées de 30 mm de diamètre. Qu’elle m’a ramené au bureau afin que je me rende bien compte que ce n’était pas ce qu’on cherchait.
Elle est repartie voir le fournisseur…
La seconde cotation portait sur… 425 tiges filetées + 850 boulons + 850 rondelles.
Elle est repartie voir le fournisseur…
La troisième cotation était relative à 1 700 tiges filetées + 1 700 boulons + 1 700 rondelles
Elle est repartie voir le fournisseur…
La cotation suivante portait le tampon d’une entreprise différente mais avec… la même signature ! Et n’était pas du tout concurrentielle. Les prix avaient augmenté d’un tiers !
Elle est repartie voir le fournisseur… qui a maintenu ses prix et, finalement, n’a pas eu le marché…
Mais je pense qu’ils ont noué des liens très étroits ! … par contre je ne suis pas certain que l’artisan ait beaucoup travaillé avec toutes ces visites…
Kotamale, petit village isolé de la Nana Grebizi, situé au
centre de la République Centrafricaine. Un petit pont de cinq
mètres de large enjambe la rivière Kodo qui coule paisiblement deux mètres en contrebas.
Un cours d’eau paresseux et boueux franchit en quelques pas. Mais qui va coûter
quelques dizaines d’euros au chauffeur du camion qui se présente. Pour la
deuxième fois depuis le départ de Kaga Bandoro, à quelques soixante kilomètres
à l’ouest, la scène rejoue sa partition. Le pont est en effet infranchissable.
Si la piste en latérite, refaite il y a quelques années par
les services publics, est dans un état à peu près correct, les ouvrages d’art,
eux n’ont pas résisté au passage du temps et des intempéries. Les saisons des
pluies très violentes et longues de plusieurs mois, qui multiplient par dix, ou
plus parfois, le débit des cours d’eau, la pauvreté extrême des populations qui
les incite à vandaliser les infrastructures publiques, dont les planches et
poutres qui forment bien souvent le tablier des ponts offrent un intérêt
économique non négligeable, les combats passés, entre forces gouvernementales
et mouvements rebelles, qui ont mis à mal les ouvrages de franchissement pour
des raisons de stratégie militaire, et, simplement, l’absence d’entretien liée
à l’absence de moyens, ou de volonté politique ; tous ces facteurs,
accumulés, ont laissé derrière eux les mêmes images qui se répètent par dizaines
à travers le vaste territoire de la RCA : des structures métalliques le
plus souvent en bon état mais dénudées de leur tablier, cette surface en bois,
métal ou béton sur laquelle les véhicules et les piétons peuvent franchir le
cours d’eau.
Bien souvent, les populations on réparé celui-ci avec les
moyens du bord pour leur usage quotidien : quelques rondins branlants et
trop fragiles vaguement attachés entre eux avec des lianes, une solution
éphémère pour les piétons, les cyclistes, plus rarement pour les voitures 4x4
mais jamais suffisantes pour les camions surchargés de marchandises ou d’aide
humanitaire.
Alors, comme à chaque fois, le chauffeur arrête son véhicule
et commence à négocier avec les jeunes qui s’approchent, conscients de leur
pouvoir et leur monopole dans ce coin perdu de la jungle. De quelle
négociation s’agit-il ? Celle du prix du déchargement des dizaines de
tonnes de conserves, vêtements, outils, sacs de ciment, planches, brouettes,
bidons, tôles, bicyclettes et autres produits hétéroclites qui constituent la
masse énorme et débordante des produits qu’attendent les commerçants de Ndélé.
Celle du prix pour le transport de tout ceci à dos d’homme, de l’autre côté du
cours d’eau. Puis celle du prix du rechargement de l’ensemble du fret dans le
camion ainsi allégé qui aura, peut-être, pu franchir le cours d’eau à gué sans
s’embourber.
Car, en effet, régulièrement, le camion se révèle incapable
de remonter la pente de boue que constitue les berges et de nouvelles
négociations s’engagent alors avec les manœuvres locales…
Ce gymkhana se reproduira encore cinq fois d’ici Ndélé, 200 km plus au nord,
stoppant le véhicule de longues heures et majorant d’autant le prix des denrées
à l’arrivée. D’ici fin juin, avec la montée des eaux, les franchissements à gué
deviendront cette fois-ci totalement impossibles. Le nord du pays se retrouvera
alors complètement coupé du reste du pays et de la capitale. Plus de
transport commercial. Plus d’aide humanitaire. Plus de déplacements personnels
ou professionnels. Rien. Simplement du fait de l’absence de quelques dizaines
de mètres de tablier. Un tiers du pays. Des dizaines de milliers de personnes
isolées à cause de l’absence de quelques planches.
Financé par le Fond de Réponse d’Urgence, géré par le PNUD
et approvisionné par plusieurs Etats, ACTED a entrepris de réparer quelques uns
de ces ouvrages afin de maintenir l’accès à Ndélé 12 mois par an. Les travaux
sont en cours et vont essayer de prendre de vitesse la saison des pluies qui se
rapproche. Puis, dans les mois à venir, des dizaines d’autres ouvrages pourront
également être réhabilitées à travers l’ensemble du pays.
Une intervention de seulement quelques semaines et quelques
milliers d’euros à chaque fois mais qui change la vie quotidienne de dizaines,
et parfois de centaines, de milliers de personnes.