Bousculades (suite et fin) - dimanche 23 octobre
Bousculades (suite et fin) – dimanche 23
octobre
Bonne arrivée chers élèves pour la seconde partie de
notre cours magistral sur les procédures d’enregistrement des réfugiés au Tchad.
Aujourd’hui, nous traiterons de la 2ème phase de l’opération :
l’enregistrement.
L’enregistrement consiste en la collecte d’un maximum
d’informations sur chaque réfugié, renseignements qui permettront une meilleure
approche des différentes actions d’assistance, que ce soit la distribution de
vivres, de non vivres ou encore la mise en place des services de santé,
d’éducation ou encore de protection. Celles-ci permettront également une
meilleure organisation du rapatriement des réfugiés lorsque la situation
sécuritaire et politique le permettra, d’ici… quelques
années ?...
Tout comme lors de notre précédent cours, nous verrons
dans un 1er temps le déroulement théorique de l’opération avant
d’aborder l’application pratique sur le camp d’Oure Cassoni qui nous sert de
base d’étude.
La
théorie donc… Rappelons tout d’abord que chaque réfugié s’est vu doté d’un
bracelet en plastique, numéroté et inviolable, fixé à son poignet gauche ou à
son pied gauche pour les petits enfants, merci de suivre, au fond à
droite !
Le
processus se déroule donc comme suit :
- Le réfugié se présente avec sa famille à l’entrée de
la zone d’attente lorsque son bloc est appelé
- Après un 1er contrôle par les leaders de
son bloc, la famille emprunte un couloir jusqu’à la zone de contrôle des
bracelets. Un vérificateur inspecte chaque bracelet et vérifie que celui-ci
n’est pas été rattaché, bidouillé, tripatouillé, bricolé…
- La famille est prise en charge par un guide qui
l’emmène au contrôle des cartes de distribution
- Le guide mène ensuite la famille dans la salle
d’enregistrement où une quarantaine d’agents reçoivent les familles et
remplissent les formulaires
- La famille se présente à la sortie où le formulaire
est contrôlé et les bracelets détachés
- Heureuse et détendue, la famille regagne sa tente et
attend la suite des réjouissances
En
pratique, ça peut ressembler à ça…
- Le réfugié se présente n’importe quand, il bouscule
pour chercher à rentrer plus vite. Les leaders sont absents ou peu concernés.
La gendarmerie est appelé régulièrement pour remettre l’ordre à coup de bâton
dans les tibias (je recommande…)
- La famille se présente au contrôle des bracelets.
Comme ils ont triché lors de la pause des bracelets, ils se présentent avec
une espèce de machin truc rafistolé avec de la ficelle, de la colle, du sucre
ou encore un bout d’épingle. La supercherie se voit comme le nez au milieu de
la figure mais les réfugiés nient farouchement. Ils en appellent aux leaders.
Tout le monde se met à palabrer, à argumenter. Les réfugiés font la grève,
rentrent chez eux et le processus s’arrête faute de combattant.
- La famille est prise en charge par un guide qui ne
parle pas sa langue. A force de geste, il arrive tout de même à comprendre que
la carte de distribution n’appartient pas au chef de famille mais à un oncle
qui est rentré au Soudan et lui a confié le précieux bout de papier bleu et
déchiré. La famille est alors orientée vers l’équipe des litiges qui se lance
dans des recherches poussiéreuses parmi les dizaines de classeurs
d’archives.
- La famille arrive auprès d’un agent d’enregistrement.
Si celui-ci a la chance de parler la bonne langue, des échanges ubuesques
débutent : « Vous avez 56 ans et ce sont vos 5 enfants,
madame ? Oui ? Mais l’aîné n’a que 6 ans ??? »
Variante : « Monsieur, ce sont vos deux femmes ? Non ?
Celle-ci est la sœur de votre seconde épouse qui est rentrée au Soudan avec 3
de vos enfants mais il faut tout de même que je les enregistre ? »
ou encore « Ce n’est pas votre enfant ? Celui de votre frère ?
non ? De votre cousin ? Non plus ? De votre voisin ? Et
vos enfants ? Avec votre voisin ??? »
Fantastique…
- La famille se présente à la sortie pour le détachement
des bracelets. Les enfants fondent en larmes. Ils veulent garder ce magnifique
bijou…
- La famille regagne sa tente et enfile un second
bracelet. Elle revient pour un 2nd tour. Autre variante : des
convois d’ânes et de 4x4 branque ballants quittent le camp, direction Bahaï ou
les autres camps… Et oui, nous avons enregistré la population locale ou encore
les réfugiés qui possèdent déjà leur carte un peu plus au sud… mais ne vous
inquiétez pas, ils reviendront tous lors de la prochaine distribution générale
de vivres !
Une
semaine de ce cirque. 24 000 réfugiés finalement retenus sur les
31 000 bracelets distribués lors du fixing. Pour les autres, c’est le début
du processus de vérification. L’opération n’a été arrêtée au total que 5h pour
des négociations avec les leaders et l’ordre d’évacuation n’a presque été lancé
qu’une seule fois (dommage que les chauffeurs soient partis tout de même et
qu’on ait perdu 1h à récupérer tout le monde…).
Place maintenant à l’informatisation de tout ça. D’ici 2 mois ??? Inch’allah ! Et bonne fin de ramadan !