Le petit pont de bois
Kotamale, petit village isolé de la Nana Grebizi, situé au
centre de la République Centrafricaine. Un petit pont de cinq
mètres de large enjambe la rivière Kodo qui coule paisiblement deux mètres en contrebas.
Un cours d’eau paresseux et boueux franchit en quelques pas. Mais qui va coûter
quelques dizaines d’euros au chauffeur du camion qui se présente. Pour la
deuxième fois depuis le départ de Kaga Bandoro, à quelques soixante kilomètres
à l’ouest, la scène rejoue sa partition. Le pont est en effet infranchissable.
Si la piste en latérite, refaite il y a quelques années par
les services publics, est dans un état à peu près correct, les ouvrages d’art,
eux n’ont pas résisté au passage du temps et des intempéries. Les saisons des
pluies très violentes et longues de plusieurs mois, qui multiplient par dix, ou
plus parfois, le débit des cours d’eau, la pauvreté extrême des populations qui
les incite à vandaliser les infrastructures publiques, dont les planches et
poutres qui forment bien souvent le tablier des ponts offrent un intérêt
économique non négligeable, les combats passés, entre forces gouvernementales
et mouvements rebelles, qui ont mis à mal les ouvrages de franchissement pour
des raisons de stratégie militaire, et, simplement, l’absence d’entretien liée
à l’absence de moyens, ou de volonté politique ; tous ces facteurs,
accumulés, ont laissé derrière eux les mêmes images qui se répètent par dizaines
à travers le vaste territoire de la RCA : des structures métalliques le
plus souvent en bon état mais dénudées de leur tablier, cette surface en bois,
métal ou béton sur laquelle les véhicules et les piétons peuvent franchir le
cours d’eau.
Bien souvent, les populations on réparé celui-ci avec les
moyens du bord pour leur usage quotidien : quelques rondins branlants et
trop fragiles vaguement attachés entre eux avec des lianes, une solution
éphémère pour les piétons, les cyclistes, plus rarement pour les voitures 4x4
mais jamais suffisantes pour les camions surchargés de marchandises ou d’aide
humanitaire.
Alors, comme à chaque fois, le chauffeur arrête son véhicule
et commence à négocier avec les jeunes qui s’approchent, conscients de leur
pouvoir et leur monopole dans ce coin perdu de la jungle. De quelle
négociation s’agit-il ? Celle du prix du déchargement des dizaines de
tonnes de conserves, vêtements, outils, sacs de ciment, planches, brouettes,
bidons, tôles, bicyclettes et autres produits hétéroclites qui constituent la
masse énorme et débordante des produits qu’attendent les commerçants de Ndélé.
Celle du prix pour le transport de tout ceci à dos d’homme, de l’autre côté du
cours d’eau. Puis celle du prix du rechargement de l’ensemble du fret dans le
camion ainsi allégé qui aura, peut-être, pu franchir le cours d’eau à gué sans
s’embourber.
Car, en effet, régulièrement, le camion se révèle incapable
de remonter la pente de boue que constitue les berges et de nouvelles
négociations s’engagent alors avec les manœuvres locales…
Ce gymkhana se reproduira encore cinq fois d’ici Ndélé, 200 km plus au nord,
stoppant le véhicule de longues heures et majorant d’autant le prix des denrées
à l’arrivée. D’ici fin juin, avec la montée des eaux, les franchissements à gué
deviendront cette fois-ci totalement impossibles. Le nord du pays se retrouvera
alors complètement coupé du reste du pays et de la capitale. Plus de
transport commercial. Plus d’aide humanitaire. Plus de déplacements personnels
ou professionnels. Rien. Simplement du fait de l’absence de quelques dizaines
de mètres de tablier. Un tiers du pays. Des dizaines de milliers de personnes
isolées à cause de l’absence de quelques planches.
Financé par le Fond de Réponse d’Urgence, géré par le PNUD
et approvisionné par plusieurs Etats, ACTED a entrepris de réparer quelques uns
de ces ouvrages afin de maintenir l’accès à Ndélé 12 mois par an. Les travaux
sont en cours et vont essayer de prendre de vitesse la saison des pluies qui se
rapproche. Puis, dans les mois à venir, des dizaines d’autres ouvrages pourront
également être réhabilitées à travers l’ensemble du pays.
Une intervention de seulement quelques semaines et quelques
milliers d’euros à chaque fois mais qui change la vie quotidienne de dizaines,
et parfois de centaines, de milliers de personnes.